Séances du 8 et du 15 novembre
Ce travail se déroule sur plusieurs séances.
Au cours de la séance du 8 novembre, un étudiant s’interroge sur l’exercice de la « synthèse » auquel il leur a été demandé de travailler dans leurs ateliers d’arts plastiques, qui consiste en une présentation écrite d’un travail plastique, depuis le contexte dans lequel il a été fait jusqu’aux compléments ou prolongements que l’on souhaite lui apporter une fois qu’on l’a réalisé, en passant par sa description, les références qui y sont associées, et les thématiques qui y sont traitées.
Au-delà de l’exercice lui-même de la synthèse, la proposition suivante est faite : « faire le récit de la conception et de la réalisation d’un travail plastique ». Il ne s’agit plus en l’occurrence de s’en tenir à la pratique la présentation par une synthèse, exercice utile et parfois nécessaire pour présenter des dossiers ou travaux, mais de pousser plus loin et d’aborder plus largement la possibilité de rendre compte par le texte d’un travail plastique que l’on a réalisé. Il s’agira au bout du compte de considérer d’une part les textes ainsi produits comme des compléments à un travail plastique donné, mais aussi, d’autre part comme des travaux de création complexes.
Je demande aux étudiant·e·s de choisir un travail plastique qu’ils ont récemment réalisé, de préférence s’il est présent dans l’atelier, de telle sorte qu’il soit possible de le décrire en l’ayant sous les yeux, et de faire le récit de sa conception et de sa réalisation. Peu de temps auparavant, lors d’un cours ayant eu lieu la veille ou l’avant-veille, une enseignante leur a fourni un ensemble de collants, avec l’intitulé suivant : « décollez-vous du collant ». Il s’agit d’utiliser ces collants comme matériau et comme élément central d’un travail (où le collant en tant qu’objet sera présent), tout en exploitant les capacités plastiques et le détournant de son usage originel (celui d’un vêtement enveloppant les jambes). L’enseignante avait également fourni, à côté de l’intitulé, un ensemble de verbes d’action pour donner des pistes de travail aux étudiant·e·s : tendre, remplir, étirer, percer, nouer, épingler, etc. Comme il s’agit d’un travail récent, et même toujours en cours, à partir d’un contexte commun à tou·te·s les étudiant·e·s, nous décidons que chacun·e fera le récit de son travail à partir de « décollez-vous du collant ».
Il s’agit de RETRACER LE CHEMINEMENT DE LA PENSÉE ET DES ACTIONS. Pour cela, il s’agit de travailler avec la forme textuelle du RÉCIT, dont l’avantage est d’être très souple, et dont les capacités d’intégration de matériaux hétérogènes (à l’intérieur de la forme textuelle : description, rapport d’incident, relation de lien logique, évocation d’une image mentale, d’un raisonnement abstrait, etc. — hors de la forme textuelle, mais pouvant être associés à lui : des documents visuels et/ou sonores, des liens hypertextes). On considère donc que la conception de son travail plastique et sa réalisation est l’objet d’un récit, et non l’objet d’un discours (même si la souplesse et l’inclusivité du récit permettent d’intégrer du discours, mais dans le déroulement du mouvement propre au récit, qui est celui d’un cheminement en train de se faire, de la relation de QUELQUE CHOSE QUE L’ON RACONTE).
Dans de tels récits, il peut être fait mention d’étapes qui auront été des fausses pistes, des tâtonnements, des incompréhensions, des échecs, etc. autant que des étapes qui ont activement mené à la réalisation aboutie du travail dont on rend compte. On relatera donc des étapes dont aucune trace ne reste dans le travail final et des étapes qui auront été beaucoup plus productive : il s’agit de relater le cheminement de la pensée et des actions, s’il y a plus de pensées que d’action, cela n’empêche pas qu’il y a matière à récit. Le récit d’un travail qu’on n’a pas réussi à faire n’est pas moins valable que celui d’un travail qu’on a réussi à faire.
Parmi les enjeux de ce travail de récit, il y a notamment celle de travailler la forme du récit, en tant que genre littéraire, et celle d’utiliser l’écriture comme une mise en forme de la pensée et un donc moyen de construction de la pensée.
Le travail commence par oral. Je demande à chaque étudiant·e de me dire de quoi il·elle est parti·e (en l’occurrence, pour chacun·e ici, il s’agit du même intitulé et des mêmes objets), et quelles ont été les étapes de sa réflexion : premières pensées, premiers actes, les essais qui en découlent, ce qui suit ces premiers essais, les pensées que ça a suscité chez lui ou chez elle, les références, etc. En relatant le plus d’étapes possibles du mouvement de la pensée, et des interactions de celle-ci avec des actes et des opérations extérieurs (une conversation qui nourrit la réflexion, la découverte d’un objet utile, le conseil d’un·e enseignant·e ou d’un·e autre édudiant·e, la réalisation de tel ou tel acte qui satisfait ou ne satisfait pas, donne une autre piste, etc. etc.
Les étudiant·e·s me font un premier récit de cela et je le note au tableau au fur et à mesure, sous forme de prise de notes, sans phrases. C’est la constitution d’un matériau, qui passe de processus mentaux à une prise de notes écrites.
Ensuite, je retranscris ce récit oral noté au tableau et le restitue aux étudiant·e·s, afin qu’ils l’utilisent comme base de la première version qu’ils feront de leur récit. Les étudiant·e·s sont libres d’ajouter ou de modifier ce matériau retranscrit autant qu’elles·ils le souhaitent, de le compléter selon leur désir. L’idée étant d’essayer de faire un récit le plus complet possible.
Pour décrire autrement l’exercice qu’il s’agit de pratiquer avec ces récits et donner une idée peut-être plus parlante de sa portée, on pourrait dire qu’il s’agit de faire le REPORTAGE ou le MAKING OF de la conception et de la réalisation d’un travail plastique.
Aux étapes ultérieures de l’écriture de ce récit, on réfléchira aux possibilités de l’enrichir de registres de texte supplémentaires, d’y inclure de nouveaux éléments et aux possibilités de le mettre en forme, notamment en fonction des images par lesquelles il pourra être complété (sans oublier les sons, vidéos et liens hypertextes que permettent le support numérique). Ce sera également l’occasion d’aborder les possibilités de faire le récit de tout processus s’opérant selon un cheminement, un déroulement (ou mis en forme par le texte selon un cheminement que l’on relate), et l’importance de l’acte de DOCUMENTER afin de constituer le matériau à partir duquel on peut enrichir et augmenter les récits.
On pourra alors s’aider, par exemple, d’une série de textes relatant la conception et la réalisation de livres par leurs auteur·trice·s, mis en ligne sous l’intitulé de « making of » sur le site de création littéraire remue.net, dont on peut citer quelques exemples :